lundi 20 octobre 2008

AUTOBIOGRAPHIE - VI


Le texte que nous allons lire ci-après est très particulier, car il démontre, chez la Bienheureuse, dès son plus jeune âge, l'idée qu'elle se faisait du lieu des peines éternelles: l'enfer.

La fermeté de son “en enfer, moi je n'irai pas” a déplu à certains qui ont vu dans cette afirmation catégorique une sorte de vanité ou même de l'orgueil. Cela est tout à fait erroné, car Alexandrina a toujours été d'une humilité exemplaire, toute sa vie durant. Il faut plutôt y voir le désir qu'elle a toujours affirmé: fuir le péché et l'occasion de pécher, car le péché seul conduit en enfer.

Mais, laissons lui le soin de nous raconter sa première confession “générale” et l'effet que produisit en elle le sermon du célèbre et docte Frère Manuel das Chagas, sur lequel nous vous donnerons quelques explications dans un prochain article:

À l’âge de neuf ans, j’ai fait ma première confession générale à frère Manuel das Santas Chagas qui prêchait à Gondifelos. Moi, Deolinda et ma cousine Olívia, ayant pris quelques victuailles, nous y sommes allées, et nous y sommes restées toute l’après-midi pour écouter le sermon. Je me souviens que nous ne sommes même pas sorties de l’église pour aller jouer. Nous avons pris place tout près de l'autel du Sacré-Cœur de Jésus, j'ai placé mes sabots à l'intérieur de la balustrade.
Le sermon avait pour sujet l’enfer.
J'ai écouté avec beaucoup d'attention le prédicateur qui, à un certain moment, nous invita à nous transporter, par la pensée, en ce lieu. Incapable de comprendre le vrai sens de cette invitation et, persuadée que le Père était un saint, je suis restée convaincue, que d'un moment à l'autre, il nous y amènerait. Placée en face de cette conjecture, je me suis révoltée et me dis à moi-même: “en enfer, moi je n'irai pas ! Si le Père et tous les autres veulent y aller, moi, je prends mes jambes à mon coup et je m'échappe promptement”.
Et, sans plus attendre, j'ai ramassé mes sabots afin d'être prête à fuir à la première alerte. Quand j'ai remarqué que personne ne bougeait, alors je me suis un peu calmée... Mais, mes sabots, je ne les ai plus quitté des yeux...

mardi 14 octobre 2008

AUTOBIOGRAPHIE - V


La maison où vécut Alexandrina

Après 18 mois, ma sœur ayant obtenu son diplôme, nous avons quitté Póvoa. Ma mère voulait que je continue ma scolarité, mais je n’ai pas voulu rester toute seule. Je n’avais pas appris grand chose.
Nous sommes retournées, pour quatre mois encore, habiter Gresufes,[1] où je suis née. Ensuite, nous sommes venues habiter plus près de l’église, dans une maison appartenant à ma mère, au lieu-dit “Calvário” [2]
Vers les neuf ans, quand je me levais de bonne heure pour les travaux des champs et que je pouvais être seule, je m’extasiais à contempler la nature: l’aurore, le lever du soleil, le chant des oiseaux, le gargouillement de l’eau me pénétraient et me transportaient à une si profonde contemplation qu’un peu plus j’oubliais que je vivais dans le monde. Je restais là, absorbée par cette pensée: combien grand est le pouvoir de Dieu !
Lorsque je me trouvais au bord de la mer, je m’extasiais devant cette grandeur infinie.
La nuit, en contemplant le ciel et les étoiles, je me perdais dans l’admiration des beautés du Créateur.
Combien de fois, dans mon petit jardin, j’admirais le ciel, j'écoutais le murmure de l’eau et je pénétrais chaque fois davantage dans l’abîme des grandeurs divines !
Quel dommage que je n’ai pas su profiter de ces moments-là pour m’adonner à la méditation.
Malgré mon espièglerie, j’avais une très grande peur de perdre mon innocence et de m’attirer la désapprobation de Dieu. Je me souviens d’avoir dit deux paroles que j’ai considérées comme étant un péché: j’en ai eu honte et, il m’a été très pénible de les confesser.
Je n’aimais pas les conversations malicieuses. Même si je n’en comprenais pas le sens, je menaçais de ne plus accompagner ceux qui ne seraient pas corrects. De la même façon, je m’indignais quand je voyais quelque geste déplacé. [3]

[1] Lieu-dit, faisant partie du village de Balasar, lequel est composé d’un grand nombre de ceux-ci, comme nous le verrons par la suite.
[2] Calvaire. Tel est le nom de cet autre lieu-dit, qui va être le “théâtre” d’une vie toute consacrée à Dieu. Jésus en parlera quelques fois à Alexandrina, de cette “coïncidence”. En 1832, au pied de cette petite colline, une croix de terre est apparue, à même le sol, le jour de la Fête Dieu. Le curé de l’époque la fit effacer à trois reprises et à chaque fois elle est réapparue. Alors les villageois décidèrent de construire sur celle-ci, pour la protéger, une petite chapelle dédiée à la sainte Croix. Elle existe toujours et est visité quotidiennement par tous ceux qui se rendent en pèlerinage sur la tombe d’Alexandrina.
[3] Cândido dos Santos témoigne: “Je l’ai vue, un jour, s’enfuir d’auprès d’un garçon qui lui avait adressé une parole malhonnête. Tapant de son index sur le front, elle lui dit: « Très sale, mon cher! Fais attention! »”.

lundi 13 octobre 2008

LETTRE A JESUS

Je suis ta plus indigne fille

Balasar, le 19 février 1942.
Mon bon Jésus,
Je sens mon cœur tailladé par la douleur. Aurez-Vous encore d’autres coups à me porter ? Que votre volonté soit faite. Clouée sur la croix avec Vous, saignant et dans la plus grande agonie, je me vois et je me sens abandonnée. Je ne peux pas vivre dans le monde, j’ai peur.
Jésus, venez vite, venez, emportez-moi au Ciel. Les hommes tente d’écarter de moi, de m’arracher pour toujours ce qui me procurait quelque soulagement, qui pouvait me réconforter. Ils m’ont pris mon Père spirituel, ils lui ont interdit de m’écrire et à moi de ne plus lui envoyer de lettres. Je suis seule au milieu de la tempête et celle-ci ne se calme pas.
Je vous ouvre mon pauvre cœur, Vous seul savez y lire ce qu’y est écrit avec douleur et sang ; Vous seul comprenez et pouvez évaluer ma souffrance. Le monde l’ignore, les hommes n’y comprennent rien. Laissez-moi Vous dire ce que Vous avez dit à votre Père Éternel :
“Pardonnez-leur, mon Jésus, car ils ne savent pas ce qu’ils font !” Ils sont aveugles, il leur manque votre divine lumière : éclairez-les tous et donnez à tous votre amour.
Ô Jésus, tous mes pressentiments se sont avérés exactes. Pourront-ils encore m’interdire de vous recevoir sacramentellement ? Pauvre de moi, cela serait le coup qui m’ôterait la vie, si Vous avec votre divin pouvoir ne me conservez pas la Communion.
Qu’ils disent ce qu’ils voudront, qu’ils fassent ce qui leurs plaira, ce qu’ils ne m’ôteront jamais c’est cette union avec Vous.
Me priver de Jésus sacramentel, oui, je ne doute pas qu’ils le fassent ; ôter de mon cœur le très riche trésor que j’adore, que j’aime plus que toute autre chose, le Père, le Fils, le Saint Esprit, cela, jamais, jamais les hommes y parviendront : il aurait fallu qu’ils me fassent vivre sans cœur et sans âme.
Impossible ! Que vienne la force du monde entier et que toute cette force se jette contre moi : mais, me séparer de cette grandeur infinie, de cet amour infini, cela jamais ! Seul le péché, lui seulement pourrait m’en séparer.
Mais j’ai pleinement confiance en Vous ; c’est de Vous, mon Jésus, que j’attends tout, malgré le ressentir de mon âme arrive presque à me persuader : que je me trompe moi-même : je sens que je ne Vous aime pas, je sens que je ne peux rien attendre de Vous à cause de ma misère qui est si grande.
Quelle confusion que la mienne ! Combien grande est ma détresse !
Soulevez-moi, mon Jésus, aidez-moi, même ainsi clouée à la crois, à monter tout le chemin douloureux du calvaire. À chaque escalier par où je passe, je veux laisser écrit avec le sang que de mes plaies s’écoule :
C’est pour Jésus que je souffre, c’est pour lui donner des âmes que je chemine !
Jésus, Jésus, je ne vois pas le Ciel, tout le bleu du firmament s’est éloigné de moi, je l’ai perdu, on m’a volé ce qui était ma vie. Je ne sens que douleur, je ne sens et ne vois que la mort. Je n’ai pas à qui recourir : ce n’est que Vous et la Mãezinha que je peux appeler.
Pauvre de moi ! Combien de fois à cause de ma souffrance je n’ose même pas Vous regarder !
Écoutez-moi toujours, même quand je ne vous appelle pas ; demandez à la Mãezinha qu’Elle m’aide, donnez-moi toute la force du Ciel !
Tous les bruits que j’entends me rappellent mon Père spirituel. Est-ce lui qui arrive ? Quelle vie d’illusions !
Chaque pensée qui me vient en tête sur mon pénible état, ce sont comme des flèches qui se plantent dans mon cœur, ce sont comme une flagellation qui met en lambeaux mon cœur et mon âme. Quel mal ai-je fait ? Quel crime ai-je commis ?
Ô mon Jésus, si ce n’était pas votre amour, si ce n’était pas cet ardent désir de Vous donner des âmes, je me refuserais à tout cela. J’aimerais Vous aimer beaucoup, ne jamais Vous offenser pour gagner le Ciel, mais je ne voudrais pas — sur la terre — la crucifixion, je ne voudrais point entendre votre douce voix, je n’aimerais pas regarder votre divine Image, ni douloureuse ni glorieuse : j’aurais une éternité entière pour Vous contempler et pour vous entendre parler.
Pardonnez mes épanchements, Jésus, Vous savez bien que Vous êtes le seul avec qui je peux m’épancher.
Vous avez voulu me choisir pour la souffrance, Vous m’avez destinée à de si grands martyrs, voici votre victime, voici votre esclave, Jésus, faites de moi ce qu’il Vous plaira.
Accorde-moi ta bénédiction, mon Aimé. Dis à la Mãezinha qu’Elle me bénisse et me protège. Je suis ta plus indigne fille, la pauvre,

Alexandrina

jeudi 9 octobre 2008

AUTOBIOGRAPHIE - IV


Au four et à mesure que je grandissais, le désir de prier augmentait en moi. Je voulais tout apprendre. Encore aujourd’hui je garde le livret de prières et de dévotions de mon enfance: prières à la Sainte Vierge, offrande quotidienne au Seigneur de mes actes journaliers, prière à l’Ange gardien, à saint Joseph, et plusieurs prières jaculatoires.
Quand je sortais en promenade avec ma nourrice et avec d’autres enfants, je m’éloignais pour cueillir des fleurs que j’allais ensuite déposer dans la chapelle de Notre-Dame des Douleurs.
Au mois de mai, je me réjouissais à contempler les autels de la Vierge, ornés de fleurs et heureuse aussi, quand ma mère m’y conduisait dans ce but.
Le chapelain de l’église de Notre-Dame des Douleurs organisait des comités d’enfants pour le culte envers Marie. Dans le village, des voisines s’occupaient de recueillir des denrées alimentaires [1]. Je me souviens qu’un jour, à Aguçadoura, on nous a donné très peu. Nous avons eu alors la malheureuse idée d’entrer dans un champ de pommes de terre: nous y avons cueilli presque deux kilos.
J’aimais beaucoup ma nourrice. Quand je recevais quelque présent, je lui en rendais toujours compte, pour lui faire plaisir: je le faisais de tout cœur, malgré que je sois bien méchante.
Un jour, ma sœur lui a demandé d’aller faire ses devoirs chez une copine et moi, je me suis entêtée à la suivre. La dame s'y opposant formellement, j’ai pleuré de dépit et je l’ai gratifiée d’un sobriquet. Elle ne m’a pas punie, mais elle m’a prévenue que je ne pourrais pas aller me confesser sans lui avoir, auparavant, demandé pardon. Ma sœur aussi m’a dit la même chose. Lui demander pardon, me coûtait beaucoup, mais le désir de me confesser et de faire la Communion était si grand, qu’il a pris le dessus sur mon orgueil. Je me suis agenouillée devant elle et elle m’a pardonné, les larmes aux yeux. J’ai éprouvé une très grande joie du fait de pouvoir aller me confesser et de recevoir Jésus.
Pour cette même période, je me souviens aussi du respect que j’avais vis à vis des prêtres. Quand, étant assise sur le pas de la porte, seule ou accompagnée, je voyais passer l’un d’eux, je me levais pour lui demander sa bénédiction. Ayant remarqué que certaines personnes s’en étonnaient, ce qui me réjouissait, je m’asseyais exprès, afin de pouvoir me relever aussitôt qu’un ministre du Seigneur passait par là, lui montrant ainsi ma vénération envers eux.

[1] Celles-ci étaient ensuite vendus aux enchères et le produit de la vente destiné aux frais des festivités en l’honneur de la Vierge. Cela se pratique encore de nos jours, dans les petits villages portugais.

mercredi 1 octobre 2008

AUTOBIOGRAPHIE III

Première communion

En janvier 1911, avec ma sœur, nous avons été envoyées à Póvoa de Varzim,[1] afin de pouvoir fréquenter l’école [2]. La pensée de ce que cela m’a coûté de quitter ma famille me répugne. Pendant longtemps, j’ai beaucoup pleuré. Pour me distraire, on me comblait de caresses et on cédait à tous mes caprices. Après un certain temps, je me suis résignée. J’ai, toutefois, continué à être gamine : je m’agrippais derrière les tramways, pour de longs parcours; je traversais la route au moment où ceux-ci démarraient : les conducteurs ont été obligés de se plaindre à ma nourrice. Souvent je m’enfuyais de la maison pour aller sur la plage ramasser les algues: je pénétrais dans l’eau comme les pêcheurs. Ce qui affligeait le plus ma nourrice, c’était que je m’absentais en cachette.
À Póvoa de Varzim j’ai fait ma première communion. Le Père Alvaro Matos m’a examinée sur le catéchisme, m’a confessée et m’a donné la Communion pour la première fois. J’avais alors 7 ans. Comme prix j’ai reçu un beau chapelet et une image pieuse. J’ai communié à genoux et, malgré ma petite taille, j’ai pu fixer la sainte Hostie, de telle manière qu’elle s’est imprimée en mon âme. J’ai cru alors m’unir à Jésus pour ne plus être séparée de Lui. Il a pris possession de mon cœur, ce me semble. La joie que je ressentais était inexprimable. À tous j’annonçais la bonne nouvelle. Ma maîtresse, désormais, me menait chaque jour à la communion.
Ce fut à Vila do Conde,[3] que j’ai reçu, des mains de Son Excellence l’Évêque de Porto,[4] le sacrement de Confirmation. Je me souviens, très bien, de cette cérémonie et de la joie qu’elle m’a procurée. Au moment où je recevais ce sacrement, je ne sais pas bien expliquer ce que j’ai ressenti: on dirait une grâce surnaturelle qui me transformait et qui m’unissait plus profondément à Notre-Seigneur. Je voudrais bien expliquer tout cela, mais je ne le sais pas.
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[1] Cette petite ville balnéaire, se trouve à environ 16 kilomètres de Balasar. Les deux sœurs furent mises en pension chez un menuisier, monsieur Pedro Teixeira Novo, qui demeurait rue da Junqueira. Les deux sœurs fréquentèrent l’école Mónica Cardia, madame Emília de Freitas Alvares ayant été leur institutrice.
[2] Il n’y avait pas à Balasar, à ce temps-là, d’école pour les filles. Il n’existait qu’une école de garçons. En effet, à cette époque, la scolarité était un privilège réservé à quelques-uns, car la plupart des enfants travaillaient dès leur plus jeune âge, dans les champs avec leurs parents. Ce n’est qu’en 1931, qu’une école de filles fut ouverte dans le village.
[3] Petite ville balnéaire, à 3 kilomètres de Póvoa de Varzim.
[4] Monseigneur Antonio Barbosa Leão, duquel Alexandrina conserva une photo jusqu’à sa mort, en souvenir de sa Confirmation.