mercredi 25 décembre 2013

INTERVIEWE DE NOËL

Interviewe virtuelle


Le deuxième anniversaire de la consécration du monde au Cœur Immaculé de Marie en 1942 venait d’être commémoré ; peu de temps s’était passé après la fête de l’Immaculée Conception.
Alexandrina — l’instrument dont le Seigneur s’était servi pour  cette consécration — était là, couchée sur son lit de douleur, quand je l’ai visitée.
Cela s’est passé le 25 décembre 1944, en fin d’après-midi… il faisait presque nuit, déjà.
Elle semblait dormir, car ses paupières couvraient presque complètement ses yeux noirs. Je me suis approché, tout en faisant attention pour ne pas la réveiller — car j’étais persuadé qu’elle dormait — mais aussitôt ses yeux se sont ouverts, elle me regarda et sourit, un sourire qui met le cœur en fête, un sourire qui nous procure suavité, un sourire qui est doux et d’une tendresse inexplicable…
J’ai voulu m’excuser de venir prendre un peu de son temps, mais elle me fit signe de m’asseoir, tout près de son lit, en même temps qu’elle posait son indicateur sur ses lèvres. J’ai compris qu’elle priait et, sans précipitation, je me suis assis sur la chaise que Deolinda, sa sœur, me proposait.
J’ai longuement regardé Alexandrina et, plus je la regardais, plus mon cœur semblait chevauché, comme s’il voulait dépasser cette âme  simple et pure qui parlait à Dieu ; la dépasser, non pour arriver le premier, pour pour être devant elle et pouvoir ainsi mieux admirer ce visage que les couleurs du Paradis ornaient, ses yeux qui reflétaient la lumière divine, ses lèvres statiques qui  n’avaient pas besoin de se mouvoir pour parler au Seigneur… Combien elle était belle dans cette posture de prière, dans ce colloque avec Jésus ou Marie, je ne sais pas !...
Puis, comme si elle se réveillait d’un songe qui l’aurait ravie, elle me regarda avec tendresse et sourit. De la tête elle fit signe que je pouvais commencer à l’interroger, car elle savait pourquoi je venais.

— Alexandrina, merci d’avoir accepté de me recevoir en ce jour de Noël, jour de fête…

— Les jours de fête sont toujours pour moi d’une profonde tristesse !

Voyant que ses paroles me surprenaient, elle ajouta :

— Je m’efforce toujours pour la consolation de ceux qui m’entourent me montrant joyeuse, mais ma joie n’est que feinte.

J’allais faire un commentaire, mais voyant ses yeux pleins de larmes, je me suis retenu et je n’ai fait aucun commentaire. Avec douceur et beaucoup de tendresse elle m’expliqua :

— Je regarde Jésus, la Petite-Maman, j’élève ma pensée vers  le Ciel et par amour j’accepte tout. C’est par amour que la triste est joie pour moi. Ne regardant pas la terre, je fixe mon regard dans le Ciel, les épines deviennent des roses, la douleur se change en douceur.

Surpris, en entendant ces paradoxes, je n’ai pas résisté et lui ai demandé :

— Mais, la nuit de Noël, la nuit dernière, a été pour vous, je pense, une nuit de joie, une nuit où l’Enfant-Jésus est descendu dans votre cœur.

— À minuit de la nuit de Noël, ne parlant même pas de la nuit dans laquelle mon âme était plongée, des douleurs lancinantes semblaient taillader mon corps. Je ne pleurais pas, mais je gémissais ; Jésus seul sais combien j’ai souffert. J’ai commencé à entendre le feu d’artifice et les cloches sonner, alors j’ai demandé que l’on apporte quelques images de l’Enfant-Jésus. Je les ai placées sur mon cœur : je voulais les réchauffer. La chaleur que je leur ai offerte n’était pas celle que je désirais : je voulais les brûler au feu de mon amour. Je voulais Lui dire beaucoup de choses, mais je ne savais pas que dire. Alors je les ai serrés fort contre mon cœur et j’ai continué à gémir. Je suis certaine que Jésus les a acceptés et qu’il n’est pas resté triste. Nul comme Lui savait combien je souffrais alors ; nul comme Lui savait que même mes gémissements était une prière que je Lui adressais.

— Et cet état a duré toute la nuit ? ai-je demandé un peu étonné et surpris.

— J’ignore les minutes qui se sont écoulés, ce que je sais c’est que je suis passée dans une autre vie et qu’alors j’ai entendu Jésus dans mon cœur.

— À la bonne heure ! En voilà au moins une bonne nouvelle : Jésus est venu vous visiter… Et que vous a dit Jésus ? demandai-je, avec une grande curiosité.

— Je suis né dans la crèche de ton cœur, ma  fille. C’est l’Époux qui vient vers son épouse, c’est le Roi qui visite sa reine. Je suis le Roi du ciel et de la terre. Comme je me sens bien ici, ô reine de l’amour ! La crèche que tu m’offres n’est pas aussi desséchée que celle de Bethléem, elle est mouleuse avec tes vertus. Sur ta crèche je ne sens pas les rigueurs du froid ; je suis réchauffé par l’amour le plus pur et le plus embrasé. Tu es mon étoile, étoile qui guide le monde comme autrefois elle a guidé les Rois Mages sur le chemin de Bethléem. Dis, ma fille, à tous ceux qui prennent soin de toi, à ceux qui te sont chers, qui t’aiment et qui t’entourent, que je leur offre l’abondance de mes grâces, un torrent de mon Amour divin, une place réservée dans mon divin Cœur, avec la promesse du Ciel.

— Et vous avez vu l’Enfant-Jésus, la crèche et Notre Dame et saint Joseph ?
Ma curiosité prenait des airs enfantins… Je me sentais extasié devant autant de simplicité, de  tant d’humilité et de foi…

Alexandrina me répondit :

— Non, je n’ai pas vu l’Enfant-Jésus, mais pendant qu’Il me parlait je voyais près de moi comme un palmier rempli d’anges, des centaines, des milliers d’anges… Beaucoup parmi eux jouaient des instruments et, descendant des cieux, m’entouraient. C’était amusant de voir la vitesse à laquelle ils descendaient. Au milieu d’eux il y avait une grande échelle ; de ses degrés, descendaient vers moi de nombreux rayons dorés. C’était comme des flèches qui pénétraient mon cœur.

Et les yeux noirs d’Alexandrina semblaient encore illuminés par les rayons dont elle parlait : ses yeux brillaient comme si des milliers d’étoiles s’y reflétaient.

— Et pendant tout ce temps Jésus vous a parlé ? ai-je demandé, de plus en plus poussé par ma curiosité.

Elle me regarda et compris que je “buvais” ses paroles, alors elle me dit :

— Jésus me disait :
— Ce sont tes vertus, ce sont les rayons de l’amour divin . Reçois-les, c’est ta vie !

Expliquant ce qu’elle avait vu et ressenti, Alexandrina semblait heureuse, car son sourire était merveilleux. Quant à ses yeux, fixés sur moi, ils semblaient lire ma pensée, découvrir mon âme jusque dans ses plis les plus reculés — ce qui me gênait quelque peu ! — découvrir ma curiosité croissante et, sans que j’ai besoin de lui poser une nouvelle question, elle me dit :

— Ces rayons m’ont fortifiée, ils éclairaient plus que le soleil dans son apogée. J’ai tout vu clairement. Je ne saurais dire combien de temps, mais la vision a été longue. Avec bien du mal j’ai dû en prendre congé, mais, comme quelqu’un qui chemine et regarde en arrière, je montrais que j’aurais bien voulu en bénéficier davantage. J’aimerais continuer à bénéficier de la vision, mais elle s’est arrêtée et moi je suis restée avec ma souffrance.

Quand elle eut terminé de me raconter sa vision, il me sembla voir une larme dans ses yeux, comme si le souvenir de la vision de la nuit de Noël la laissait nostalgique, dans un désir insondable de la revivre…

— Mais, après la nuit vient le jour, dis-je, comme si je voulais la consoler de l’inconsolable. Comment cela s’est passé à l’aurore, quel a été votre réveil d’aujourd’hui, jour de Noël ?

— Le jour a pointé, jour sans lumière et vie sans vie. Toujours désireuse de garder avec la plus grande sûreté le monde à l’intérieur de moi j’ai continué à me montrer joyeuse. Tous les souhaits et toutes les tendresses des personnes que j’aime, je le recevais comme s’ils ne m’étaient pas destinés.

— Alexandrina, je ne vais pas abuser de votre extrême bonté, car il est déjà plus de vingt heures… Cependant, si vous me permettez une dernière question, je vous demanderais quelle appréciation faites-vous de votre Noël 1944 ?

— En terminant cette journée, je me pose cette question : Où ai-je passé ce jour ? Il me semble avoir été morte pour Jésus et pour tous ceux qui m’entourent. J’ai vécu mais je n’ai pas ressenti la vie. J’ai souffert mais ce ne fut pas ma souffrance. Je n’ai pas vécu pour Jésus, je n’ai pas senti que je l’ai aimé.

Je ne sais pas mieux l’expliquer et je ne dis rien de ce qui se passe dans mon âme. Quelle triste vie, vie si mal comprise !.

Voilà comment s’est passé pour Alexandrina le jour de Noël 1944.
*****
Il n’est pas nécessaire d’expliquer, et tous l’auront compris, qu’il s’agit d’une interviewe virtuelle, car je n’ai pas connu personnellement la douce et tendre Alexandrina. En effet, quand elle est décédée je n’avais que 9 ans et nous habitions très loin l’un de l’autre !
Cependant, toutes les réponses qu’elle a données  à cette interviewe virtuelle sont tirées de ses écrits “Sentiments de l’âme” du 25 décembre 1944.

Alphonse Rocha